Connaissez-vous cette petite voix cassante qui vit au coin de nos têtes et passe son temps ànous juger en chuchotant ànotre oreille àtout heure, sauf éventuellement quand on est occupé àjuger les autres.
Cette petite voix qui nous rabâche les oreilles avec tous les scénarios possibles dâéchec et toutes les raisons pour lesquelles on ne devrait jamais vraiment entreprendre ou tenter quoi que ce soit.
Cette voix qui pense que le monde nous en veut et que le mieux est de se mettre en boule, tous pics dehors, en attendant que cela passe.
Celle qui nous dit quâon nâest pas assez, beaucoup trop ou totalement àcôté.
Qui nous susurre que ce nâest pas la peine dây penser, de rêver, ou même dâessayer parce quâon connaît le fin mot de lâhistoire.
Celle qui, finalement, si on la brave, reviendra en force aux premiers signes de faiblesses ou de doute pour nous rappeler quâelle nous lâavait dit et quâon aurait mieux fait de lâécouter, ce que lâon sera dâautant plus tenté de faire la prochaine fois.
Celle qui nous rappellera àtout jamais de ne pas sortir du connu et du balisé, parce quâon se souvient la dernière fois quâon sâest pris àpenser quâon pouvait voler.
La reconnaissez-vous, lâavez-vous déjàentendue? Ou est-elle si sournoisement tapie dans les coins de votre caboche que vous nâavez pas encore repéré la fâcheuse?
Elisabeth Gilbert en parle, Julia Cameron, Steven Pressfield, Seth Godin, et tant dâautres. Résistance, cerveau reptilien, Peur, ou encore saboteur, cette petite voix sâest vue baptiser de plusieurs sobriquets selon les auteurs.
Câest celle qui nous tient chaud et nous protège dans un certain nombre de cas, et câest celle qui nous empêche, qui musèle nos licornes, nos arc-en-ciels et nos soleils dans dâautres.
La voix off a en principe été installée àla mise en service, dès la naissance, puis renforcée avec les années. Essentiellement qui dit humain dit voix off, la question nâest donc pas de savoir si elle existe chez soi.
On peut fonctionner avec, mais on fonctionne tellement mieux et tellement plus proche de soi sans.
Il est important de se souvenir que notre créativité, notre capacité àfaire des liens, àmettre de la vie autour de nous et àlaisser sortir celle qui est en nous, est làet en chacun de nous. Elle a aussi été installée àla naissance.
Il se trouve quâen grandissant on veut de moins en moins mettre du ciel bleu, des soleils et des étoiles filantes sur nos feuilles et nos cahiers. On ne veut plus rire fort, plus courir dans la rue, plus sauter en lâair quand on entend des bonnes nouvelles. On ne veut pas se faire remarquer, on aime mieux ressembler aux autres â câest plus rassurant.
Câest àce moment que la voix off commence àgagner du terrain. On lâécoute car elle nous guide dans ce que lâon devrait faire pour ne pas dépasser, ne pas attirer lâoeil et surtout, àtout prix, se fondre dans la normalité. On laisse la grisaille, le conforme, lâennuyeux, les horaires, le sérieux, entrer dans nos vies par la grande porte pendant quâon demande aux ciels bleus, aux soleils, aux licornes et aux arc en ciels dâaller se cacher dans lâarmoire, juste un instant. Dâabord pas longtemps et pas trop souvent, puis de plus en plus, avant de finalement les laisser sécher làdans lâarmoire, pendant quâon cherche àavancer dans la grisaille.
Jusquâau jour où on se réveille et on ne voit plus que du gris. On frappe àlâarmoire où on se souvient avoir un jour délicatement posé notre licorne, nos soleils et nos étoiles filantes et ça sonne creux. On ne peut plus lâouvrir, il y a bien longtemps quâon a perdu la clé.
A lâintérieur, les arc-en-ciels, les ciels bleus et les soleils sâagitent, sâaffolent. Et nous devant lâarmoire on ne sait pas trop quoi faire.
On a soudain une envie irrépressible de sâacheter des crayons, dâécrire, de faire de la photo, de la danse africaine ou que sais-je. Peut-être va-t-on jusquâàsâinscrire au cours et sâacheter des crayons, sauf que⦠la voix off veille au grain et reprend rapidement le dessus faisant appel au bon sens et àla décence, dictés par toute cette grisaille dont on sâest entourés:
¨Non mais tu fais quoi tu veux dessiner?¨ ;
¨Alors Môssieur veut faire un cours de dessin maintenant? Môssieur ne pense-t-il pas quâil a autre chose àfaire peut-être, comme terminer le bouclement des comptes, la campagne marketing, ou la lessive?!¨
Ou encore
¨Mais écrire et pour quoi? Tu as vraiment lâimpression que qui que ce soit va te lire, ou même apprécier ce que tu fais? Câest ridicule tu nâas aucun talent et pas de temps pour ça allez arrête et retourne travailler, ou alors regarder la télé, mais quelque chose de normal quoi!¨
¨Les gens vont se moquer¨
¨Ils ne voudront jamais te prendre dans la classe, tu es bien trop vieux¨
¨Oh et puis de toutes façons jâai trop de travail.¨
Alors on sâéloigne àpas lourds de lâarmoire et laisse notre beau monde àson propre sort. On rabroue lâidée, cette idée incongrue, àla limite du grotesque de vouloir se mettre àla frivolité ànotre âge. Exit les licornes, les arc-en-ciels, les ciels bleus et les soleils. Retour àla grisaille, au rassurant, et àla voix off.
Ou alors⦠on doit apprendre àcombattre la voix off, la muselière. Ce système dâauto-censure qui marche en boucle et finit par nous rendre chèvre.
A partir de làquestion devient: comment mâen débarrasser? Puis on constate que, telle la mauvaise herbe qui repousse toujours, on ne la tue jamais vraiment. Ce quâil faut donc câest apprendre àvivre avec, faire avec, grandir malgré elle.
Et bien en muselant la muselière. Un matin donc, on décide que cette muselière-ci nous saoule et on lui fait le coup de tel est pris qui croyait prendre. On nâessaie pas de la faire taire, tout comme on nâempêchera pas un chien dâaller lécher tout ce quâil trouve sur le trottoir, on va juste lui rendre la tâche plus difficile et moins sympa. En se souvenant que lâimportance nâest pas la réussite àchaque pas, mais bel et bien le recommencement et la constance de lâexercice. Apprendre àla voir, la reconnaître, la tolérer, et passer outre sans relâche et le plus souvent possible.
Elle criera, se débattra, râlera, fera la morte pour que vous baissiez la garde, avant de vous molester de plus belle. Et nous avancerons, la défierons calmement, sans vagues mais avec toute la résolution du monde dans le regard et le port du menton. Pas àpas, mot àmot, coup de pinceau àcoup de pinceau, note par note, photo après photo, sourire après sourire.
A lire:
â The war of art, Steven Pressfield
A tenter:
â The artist way, Julia Cameron
A voir:
â Your elusive creative genius, TED Talk, Elizabeth Gilbert
Crédit dâimage: Pixabay