En descendant la rue de Bourg jeudi matin, Sophie se colle le pied sur un chewing gum encore frais. Elle pousse un juron, se décolle et continue sa route alors que lâamas rose laisse un filet de bave fin sur les pavés.
Un peu plus bas sous une vitrine elle aperçoit un autocollant mal posé et mal arraché. La ville est sale, rien de nouveau.
Sophie arrive enfin àlâarrêt de bus lorsquâune jeune femme la bouscule. Elle manque de se retourner pour lui faire une remarque mais son bus arrive, elle ravale son énervement et monte dans le bus.
Quelle chance, il y a de la place ce matin, Sophie sâassied. Le relief quâelle sent sous sa fesse gauche la fait se relever. Elle découvre une peluche délavée et sale quâelle pose àterre avant de se rasseoir.
ââ
Mercredi soir, Martin descend la Rue de Bourg. Sonnerie. Il décroche, une voix inconnue lui parle, câest une urgence. Un proche. Lâhôpital. Martin lâche tout, y compris  son téléphone et le chewing gum quâil sâapprêtait àmettre dans la poubelle. Il ramasse son téléphone et se met àcourir. ¨TAXI!¨
ââ
La petite Lola, quatre ans, a toujours tant aimé les autocollants. A chaque fois quâelle entre dans un magasin elle se dirige directement vers le comptoir pour voir ce quâelle y trouve. Et son plus grand bonheur est de partager ses trésors avec ceux quâelle aime.
La semaine dernière elle a collé un magnifique autocollant vert pomme en bas de la porte du magasin de sa maman, pour lui faire une surprise. Celle-ci lâa dâabord grondée en arrachant le fâcheux de sa porte, mais devant la mine interdite de sa petite, elle a rapidement recollé ce quâelle a pu. Lola était très triste de voir son oeuvre ainsi malmenée, mais rien de trop grave. Rien quâun cornet de glace avec sa maman au sortir du travail ne puisse régler.
ââ
Anna a les yeux rougis ce matin, elle éternue aussi. Elle aime bien le printemps mais làce nâest plus possible. Elle se souvient soudain quâil faut quâelle appelle lâallergologue dont on lui a parlé. Elle change distraitement de cap et bouscule une femme qui a lâair pressée. Elle nâa pas le temps de sâexcuser, la jeune femme a déjàdisparu dans la foule du matin.
ââ
Kevin a perdu son Doudou et est inconsolable. Heureusement que ses parents avaient prévu le coup àlâépoque: ils avaient tout de suite acheté un quintuplé de peluches identiques. A peine rentrés àla maison, Papa excave le jumeau prétendant au titre et le tend àKevin qui cesse immédiatement de pleurer et considère le Doudou-wanna-be dâun air suspicieux. Il sent bizarre ce Doudou. Après quelques secondes le verdict tombe et Kevin serre le jumeau dans ses bras en sâélançant dans sa chambre, sur un soupir et regards soulagés de ses parents.
ââ
A ceux qui remarquent les épisodes de chewing gums jetés ou collés ; àceux qui, aux abords dâun Doudou en perdition, sont envahis par tout le chagrin que son petit humain peut ressentir; àceux qui, sâils croisaient Anna auraient du mal àcombattre une folle envie de lui tendre un mouchoir⦠et de lui demander ce qui se passe?
A tous les chasseurs dâhistoires, volontaires ou assignés; vous qui capturez instantanément ces moments, couleurs, qualités dâinstants, personnages, sentiments alors quâils semblent échapper aux autres; vous qui aimez les observer, les compléter, les inventer, les raconter, ces moments. Le monde a besoin de vous, du détail que vous voyez et qui nous échappe. De ce sourire, rire, chaleur, pointe de tristesse que vous avez saisi et saurez nous rendre â pour notre plus grand plaisir.
Tout le monde nâétait pas présent le jour de la distribution mondiale du sens de lâobservation, de la sensibilité et de lâempathie. Nâoubliez pas que pour tout ce que cela vous encombre (peut-être⦠Moi souvent), cela vous offre aussi un angle très personnel sur le monde qui nous entoure.
Profitez-en et saisissez-vous, saisissez-nous de toutes ces histoires qui flottent autour de vous pour nous faire rire, pleurer, trembler, craindre et soupirer dâaise. Parce que toutes ces histoires, tous ces personnages, nâattendent que nous, auteurs, et se fichent pas mal de savoir si on est légitimes, reconnus, novices ou professionnels. Ce qui compte câest quâon les a vues, quâon veut les raconter, et quâon le fait avec notre <3. Le reste suivra, toujoursâ¦
Crédit dâimage: Pexels