Je ne regarde pas les nouvelles, ne lis pas les journaux, nâai aucun ami sur Facebook, pas de compte Twitter, Instagram ou Snapchat.
Je nâai pas la télévision, ne regarde pas la météo.
La plupart des gens, quand ils apprennent comment je vis, me regarde comme une bête curieuse, comme sâil manquait forcément quelque chose àma culture, àma personne. Une forme dâintelligence, dâintérêt, dâempathie, dâancrage dans la vie:
Je ne sais donc pas ce qui se passe dans le monde?!
Je ne mâintéresse pas àce que vivent mes amis et connaissance?!
Comme câest curieux!
Ce quâils ne savent pas, câest que du haut de toute mon ignorance sollicitée, je les regarde avec autant de curiositéâ¦
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Chaque jour me faire dire ce qui se passe autour de moi, ce qui est important, ce qui devrait mâinquiéter, me réjouir, me désoler? Non, merci.
Faire confiance àquelquâun ou une institution, pour démêler àma place le ¨vrai¨ du ¨faux¨, le ¨bien¨ du ¨mal¨? Laisser mes perceptions et mon jugement en pâture àqui veut bien en disposer? Non, merci.
Entrer dans la danse du bien-mal-vrai-faux-laid-beau-triste-lemondevamal? Des push plutôt que des pull? Non, merci.
Me culpabiliser tout en me donnant bonne conscience? Parce que des gens souffrent une catastrophe naturelle, survivent, meurent, nâont rien àmanger, sont victimes dâune guerre et dâatrocités mais quâau moins, je mâintéresse et ai une pensée pour eux. Non, merci.
Baisser les armes, prendre ce que lâon me montre, me donne, ce qui se dit, se fait, se pense ou non pour argent comptant? Non, merci.
Mettre aux antipodes ¨faire comme tout le monde¨ et ¨se couper du monde¨? Non, merci.
Oublier, àtravers la routine et les habitudes, quâàchaque instant jâai un choix et une responsabilité; quâàchaque instant je dois décider de mon ¨quoi¨ et de mon ¨pourquoi¨? Non, merci
Chercher les réponses sur des écrans, oublier de lever le nez au ciel? Non, merci.
Craindre dâavoir lâair dâune ignorante, de ne pas être capable de tenir une conversation parce quâune conversation devrait signifier palabrer des autres et des news au travers de ce que nous en disent les médias, Facebook ou Twitter? Non, merci.
Penser mes liens et relations en termes de qui partage et a accès àquel contenu, qui a liké, repartagé, ce qui a buzzé? Non, merci.
Passer àcôté dâun apprentissage nécessaire dans ce monde cacophonique: celui de sélectionner, de trier, de questionner, de choisir, de manquer, de passer àcôté, de me tromper, de ne pas savoir? Non merci.
Me moquer lorsque câest facile? Ãtre dâaccord quand câest dans lâair du temps? Non, merci.
Espérer que qui je suis, ce qui me fait vibrer ou me sape le moral me soit un jour présenté au 20h? Laisser les canaux extérieurs brouiller ma réception déjàténue de mon monde intérieur? Non, merci.
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Mais demander àquelquâun comment elle va et la regarder dans les yeux comme elle me répond.
Affiner mon regard et mon sens de lâécoute. Apprendre àentendre et voir ce que lâon ne me montre pas du doigt.
Explorer chaque jour comment je peux faire mieux, aider le monde àmon échelle, être une meilleure version de moi, apprendre àfaire des choix.
Choisir quels contenus je veux offrir àmon cerveau pour le stimuler et soutenir son développement.
Me pousser àaiguiser ma curiosité, àmâinstruire ¨au détour de¨. Dâun terme entendu dans la rue, dâune affiche, dâune référence attrapée au vol, dâun son, dâun sourire, dâun regard.
Me renseigner sur quelque chose que jâobserve, sans chercher àsavoir si câest tendance, si dâautres en parlent, si cela est digne dâattention.
Me responsabiliser àchaque instant. Me souvenir quâil y a autant de façons de faire les choses que de gens sur cette terre, tant que chacun de nous se souvient quâil peut et doit choisir et décider.
Constater des années plus tard que Diams ou Mc Solaar se sont retirés de la scène. Sourire de mon retard et de mon ignorance. Me demander finalement ce quâest lâignorance. Ãtre heureuse de ne pas avoir été prise dans la tempête du jugement, saluer leur courage et le retour de MC Solaar qui coincide, selon mon échelle temporelle, avec le début de son absence.
Découvrir Orelsan des années lumières après tout le monde par une suite de complets hasards, me délecter de certains textes sans être parasitée par le avant, le après, le peut-être, le sûrement pas, le devrait ou pas.
Déduire les tendances parce que je les observe dans la rue.
Savoir quâil pleut parce que je sens les gouttes glisser sur ma peau.
Me faire regarder comme une bête curieuse et me donner un high five Ã moi-même, parce que si avoir lâair dâune bête anachronique inepte peut planter un questionnement alentour, ma journée nâa pas été perdue.
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Crédit dâimage: Depositphoto