Je vous le présente, est-ce par ailleurs bien nécessaire?! Monsieur Dépêche. On le connaît tous, àlâépoque où lâon vit.
Monsieur est coquet, même si ses manières sont souvent frustes et quâil fait généralement peu de cas. Ainsi il change de nom comme de chemise. Vous lâavez certainement croisé sous une de ses identités:
Dépêche-toi
Hop hop hop
On se dépêche
Allez!
Bouge!
Au plus vite
Au plus tôt
On profitera un autre jour, àun autre moment
En plus de ces cinq choses àfaire fissa, ajoute-en une sixième pour hier
Madame Dans lâinstant, que lâon connaît aussi sous son sobriquet Madame Ãtre présent,  est tout aussi connue. Et gagne àlâêtre.
Elle fait souvent la une des journaux et magazines, a parfois une rubrique hebdomadaire, fait même lâobjet de livres entiers dédiés àsa personne.
Il se trouve que Madame Dans lâinstant est lâennemie jurée de Monsieur Dépêche. Câest seulement vrai dans une direction. Madame Dans lâinstant quant àelle nâa pas dâennemi.
Quand elle croise Monsieur, Madame reste là, observe, lâche prise et prend ce qui vient. Comme ça. Sans jugement, sans vouloir, sans trop y penser.
La seule présence de Madame Dans lâinstant énerve Monsieur Dépêche au plus haut point. Si vous tendez lâoreille, dans ses grands jours vous pourrez lâentendre pestiférer: ¨Non mais pour qui elle se prend celle-là, au milieu du passage, àgêner. Elle sert àrien mais je rêve. Allez bouge on nâa pas toute la journée!¨
Cela ne touche pas Madame Dans lâinstant, qui sâaccomode de ceci comme du reste. Parfois, trop souvent, quand Monsieur se fait trop pregnant, elle diparaît discrètement, comme elle est venue et sans demander son reste. Il nâest pas toujours aisé de se lancer àsa recherche et de la ramener chez soi.
Jâai cru longtemps que Monsieur Dépêche et Madame Dans lâinstant pouvaient se partager la vedette, faire une sorte de time share, en offrant la part du lion àMonsieur, il va de soi.
Inviter Madame le matin pour le thé, dans un bon dix minutes balisées. On place son coussin, ou zafou pour les intimes, on sâassied, on respire, on chasse tout ce qui nâest pas Dans lâinstant, puis quand lâalarme sonne on se relève, on raccompagne Madame poliment en la remerciant dâêtre venue.
Puis on se tourne vers Monsieur qui piaffe devant la porte. ¨Enfin te voilà, pas trop tôt!¨ nous lance-t-il. On sourit. Il nous est quand même bien utile, ce Monsieur Dépêche. Dâailleurs sâil nâétait pas là, que ferait-on? On ne serait certainement pas aussi efficace. Il nous serait impossible de faire autant de choses. Alors on lui tend le bras et adopte son rythme, sans broncher. On sait que plus tard, ce soir, ou demain, ou ce weekend, on pourra retrouver Madame Dans lâinstant. On sâen réjouit, les livres nous ont dit quâil est bon de garder un contact régulier avec Madame . Dâici làon nâa pas que ça àfaire.
Deux ans que plus grand chose dâextérieur àmoi ne presse. Changement de carrière pour le moins drastique, certes, mais aussi de point de vue. Allez savoir lequel de lâoeuf ou de la poule. Le fait est quâil mâaura fallu plus dâun an pour être capable de passer un instant sans avoir en tête les douze prochaines chose que je dois. Et câest encore une lutte quasi quotidienne.
Quâon sâentende, il me plaît encore de fréquenter la horde des collègues de Monsieur Dépêche, jâai cité: Madame Rapide, Monsieur Planifie, et la bonne vieille Madame Organise. Mais je suis fatiguée dâavoir Monsieur Dépêche dans les pattes.
Ce matin encore il caquetait dans mes oreilles sur le ton sec quâon lui connaît: ¨Il faut, tu dois, dépêche. Mais enfin Virginie pour lâamour du ciel grouille!¨
Ce matin jâavais insisté pour que Madame Dans lâinstant reste encore un peu. Pendant que Monsieur jaquetait, elle et moi avons avalé tranquillement une gorgée de notre thé parfumé au jasmin. Quel délice!
Monsieur nâabandonne pas si aisément. Il piétine, râle, grogne, et moi je me dis quâen fait, si time share il y a jâaime mieux un 80/20 dans lâautre sens. Avec Madame en compagnie la plus grande partie du temps, et Monsieur en visite quand vraiment on ne peut plus repousser lâimportun sans paraître impoli.
Il est vrai que la rééducation prend du temps, mais si lâon y pense bien, la vie et le temps filent, et si on nâest pas là, ici, maintenant â quelle que soit la tâche qui nous occupe â alors on est où, et pourquoi?
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