Une instruction donnée par notre coach d'écriture il y a un peu plus de deux ans: écrivez un guide pratique.
Plus de trois cents heures de travail; trois faux départs, au moins autant de fausses arrivées; deux concours prévus de manqués.
Une première version à13'000 mots, augmentée jusqu'à80'000, pour se stabiliser à50'000 et des poussières, après un dernier passage ces jours qui l'a allégée de 8.5%
Des dizaines de petites voix inconnues de réveillées: mauvaises, négatives , hideuses et décourageantes qui changeaient de ton et d'arguments suivant la phase et l'avancement du projet.
Une métamorphose de: guide pratique à: mi récit épistolaire mi guide pratique.
Une lutte au corps àcorps avec Scrivener, avec Word et avec le créateur de couvertures KDP entre hier et aujourd'hui.
Et puis plus rien.
Pas de feux d'artifices, pas de fanfares, pas de champagne, pas de fin d'un compte àrebours.
C'est sur la pointe des pieds que mon livre "Matérialiste-minimaliste, vers la meilleure version de vous-même grâce àvos objets" s'en est allé ce matin, vivre sa vie sur la plate-forme Amazon. Je la lui souhaite intéressante.
C'est le cÅur léger que je m'envole de mon côté vers d'autres contrées, d'autres projets.
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Pour rejoindre mon Club de lecteurs.
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Je vous le présente, est-ce par ailleurs bien nécessaire?! Monsieur Dépêche. On le connaît tous, àlâépoque où lâon vit.
Monsieur est coquet, même si ses manières sont souvent frustes et quâil fait généralement peu de cas. Ainsi il change de nom comme de chemise. Vous lâavez certainement croisé sous une de ses identités:
Dépêche-toi
Hop hop hop
On se dépêche
Allez!
Bouge!
Au plus vite
Au plus tôt
On profitera un autre jour, àun autre moment
En plus de ces cinq choses àfaire fissa, ajoute-en une sixième pour hier
Madame Dans lâinstant, que lâon connaît aussi sous son sobriquet Madame Ãtre présent,  est tout aussi connue. Et gagne àlâêtre.
Elle fait souvent la une des journaux et magazines, a parfois une rubrique hebdomadaire, fait même lâobjet de livres entiers dédiés àsa personne.
Il se trouve que Madame Dans lâinstant est lâennemie jurée de Monsieur Dépêche. Câest seulement vrai dans une direction. Madame Dans lâinstant quant àelle nâa pas dâennemi.
Quand elle croise Monsieur, Madame reste là, observe, lâche prise et prend ce qui vient. Comme ça. Sans jugement, sans vouloir, sans trop y penser.
La seule présence de Madame Dans lâinstant énerve Monsieur Dépêche au plus haut point. Si vous tendez lâoreille, dans ses grands jours vous pourrez lâentendre pestiférer: ¨Non mais pour qui elle se prend celle-là, au milieu du passage, àgêner. Elle sert àrien mais je rêve. Allez bouge on nâa pas toute la journée!¨
Cela ne touche pas Madame Dans lâinstant, qui sâaccomode de ceci comme du reste. Parfois, trop souvent, quand Monsieur se fait trop pregnant, elle diparaît discrètement, comme elle est venue et sans demander son reste. Il nâest pas toujours aisé de se lancer àsa recherche et de la ramener chez soi.
Jâai cru longtemps que Monsieur Dépêche et Madame Dans lâinstant pouvaient se partager la vedette, faire une sorte de time share, en offrant la part du lion àMonsieur, il va de soi.
Inviter Madame le matin pour le thé, dans un bon dix minutes balisées. On place son coussin, ou zafou pour les intimes, on sâassied, on respire, on chasse tout ce qui nâest pas Dans lâinstant, puis quand lâalarme sonne on se relève, on raccompagne Madame poliment en la remerciant dâêtre venue.
Puis on se tourne vers Monsieur qui piaffe devant la porte. ¨Enfin te voilà, pas trop tôt!¨ nous lance-t-il. On sourit. Il nous est quand même bien utile, ce Monsieur Dépêche. Dâailleurs sâil nâétait pas là, que ferait-on? On ne serait certainement pas aussi efficace. Il nous serait impossible de faire autant de choses. Alors on lui tend le bras et adopte son rythme, sans broncher. On sait que plus tard, ce soir, ou demain, ou ce weekend, on pourra retrouver Madame Dans lâinstant. On sâen réjouit, les livres nous ont dit quâil est bon de garder un contact régulier avec Madame . Dâici làon nâa pas que ça àfaire.
Deux ans que plus grand chose dâextérieur àmoi ne presse. Changement de carrière pour le moins drastique, certes, mais aussi de point de vue. Allez savoir lequel de lâoeuf ou de la poule. Le fait est quâil mâaura fallu plus dâun an pour être capable de passer un instant sans avoir en tête les douze prochaines chose que je dois. Et câest encore une lutte quasi quotidienne.
Quâon sâentende, il me plaît encore de fréquenter la horde des collègues de Monsieur Dépêche, jâai cité: Madame Rapide, Monsieur Planifie, et la bonne vieille Madame Organise. Mais je suis fatiguée dâavoir Monsieur Dépêche dans les pattes.
Ce matin encore il caquetait dans mes oreilles sur le ton sec quâon lui connaît: ¨Il faut, tu dois, dépêche. Mais enfin Virginie pour lâamour du ciel grouille!¨
Ce matin jâavais insisté pour que Madame Dans lâinstant reste encore un peu. Pendant que Monsieur jaquetait, elle et moi avons avalé tranquillement une gorgée de notre thé parfumé au jasmin. Quel délice!
Monsieur nâabandonne pas si aisément. Il piétine, râle, grogne, et moi je me dis quâen fait, si time share il y a jâaime mieux un 80/20 dans lâautre sens. Avec Madame en compagnie la plus grande partie du temps, et Monsieur en visite quand vraiment on ne peut plus repousser lâimportun sans paraître impoli.
Il est vrai que la rééducation prend du temps, mais si lâon y pense bien, la vie et le temps filent, et si on nâest pas là, ici, maintenant â quelle que soit la tâche qui nous occupe â alors on est où, et pourquoi?
Crédit dâimage: Depositphoto
Le temps est une notion intéressante, parfois un peu perturbante si on y pense.
Avoir le temps.
Perdre son temps.
Il faut laisser le temps au temps
Le temps ne passe pas.
Je nâai pas vu le temps passer.
Je nâai pas eu le temps.
Chronos, Kairos.
Le temps sâest arrêté.
Le temps file. Il passe trop vite.
Trouver le temps long.
Ne pas être maître de son temps.
Quand on travaille en entreprise, ou disons dans une structure donnée, suivant le travail effectué, on peut parfois avoir lâimpression dâêtre les maîtres du temps. Et parfois dâen être une victime.
On peut avoir lâimpression dâavoir passé sa journée àêtre interrompus, àavoir dû traiter des choses imprévues, et de nâavoir réellement rien fait.
à contrario, on peut se donner lâillusion de rajouter des heures àla journée, en traitant ses emails après ou avant les heures de travail, où le temps vole et la productivité aussi.
Le sommeil en pâtit parfois, ou la vie privée, mais souvent câest égal, on quitte le travail avec un sentiment de profond contentement. Moins dâemails nous attendront jusquâau lendemain, on est plus tranquilles. Pour moi, ça marchait àchaque fois.
Et puis quand on écrit, mais que personne nâattend vraiment rien de nous, la notion du temps change.
Les journées dâécriture sont plus longues, tout en étant très courtes. Elles sont plus calmes tout en étant une sorte de grand huit émotionnel. Elles sont passées en solitaire et pas du tout.
On se lève avec une idée en tête, en tout cas moi, nâayant perdu pratiquement aucun des réflexes dâune bonne employée qui se veut productive : aujourdâhui, jâécrirai pendant x heures sur tel projet puis x heures sur tel autre.
On sây met, et puis non, cela ne se passe pas du tout comme prévu. Même si on reste lâarrière-train vissé àsa chaise toute la journée.
Parce que celle qui mène la danse, ce nâest pas nous, câest lâhistoire. Si on la brusque, quâon tente de la gaver de plus de mots quâelle ne peut accepter pour le moment, on risque de se perdre, de la perdre. Elle risque de disparaître subrepticement en nous faisant la nique. Non merci ici on nâest pas àlâusine, je reviendrai quand tu seras calmée.
Et puis il y a les jours où on nâa pas dâidées, on pense que cela va être compliqué dâécrire même trois mots et soudain lâhistoire se délie, se fait sous nos yeux ébahis alors quâon se concentre pour pouvoir la suivre. Les mots et les minutes sâalignent dâeux-mêmes.
Câest très déconcertant, cet exercice de pousser juste assez, mais pas trop, de laisser faire juste assez, mais pas trop. Un bel exercice dâéquilibre.
Ce matin, comme tous les matins depuis des semaines, mon histoire prend son temps, elle se dandine. Elle me lance des indices, quelques scènes, quelques images que je mâévertue àdécrire, àécrire puis elle se retire pour la journée en bâillant.
Je veux la retenir, je veux trouver un truc, comme quand jâétais en entreprise et que je pensais â pour quelques heures â être le maître du temps. Un truc qui me donne lâimpression que jâai tout en main, que je maîtrise.
Ce matin en la regardant prendre congé pour la journée, je me prends àsourire. Cela ne sert àrien de pester, de supplier, de sâénerver ou de sâattrister, je le sais jâai tout essayé. Je ne peux quel la remercier pour la visite et espérer la revoir demain.
Le rythme ce nâest pas moi qui en décide. Jâai une marge de manÅuvre, certes, et je suis la seule àpouvoir décider de me poser sur ma chaise et devant mon écran. Mais au-delàde ça, je ne fais quâapprendre, tenter de comprendre, prendre au vol, recevoir et exercer. La patience, mon endurance, mon lien avec les histoires, les personnages, les scènes, ma capacité àpasser dâun projet àlâautre quand lâun dâeux décide de me laisser en plan pour la journée parce quâil mâen a assez dit. Et ma capacité àlaisser partir, àécouter le chuchotement qui dit que pour lâinstant câest tout ce quâil y a àvoir sur le sujet.
Et puis si je suis honnête, rajouter du temps aux journées ne faisait illusion que pendant quelques heures dans la soirée avant dâarriver au travail le lendemain matin en réalisant que le ping-pong dâemails sâétait enflammé dans ma boîte malgré tout.
Jâapprends donc àlaisser partir mon histoire pour lui permettre de se faire une beauté, àme réjouir de la retrouver, et en attendant quâelle revienne, jâécris un billet de blogâ¦
Crédit dâimage: Fabrizio Verrecchia sur Unsplash