Seule dans le box numéro 6 des urgences de lâhôpital de Saint-André dans un pays qui nâest pas le mien, je regarde défiler douleur, peur, regret, tristesse et presque deux ans de ma vie.
Le docteur entre sans frapper avec son interne et un air important. Il écoute avec attention le diagnostic de son ailière, puis il sâadresse àmoi:
â Nous avons exclu la pyélonéphrite, la fonction rénale est normale. Nous suspectons une colique néphrétique. Vous pouvez sortir sous réserve dâun scanner dans les 48 heures.
Alors quâils disparaissent, je regarde défiler un flot dâimages qui éclaircit pour moi mon état. Non Docteur, ce nâest pas une colique néphrétique.
Câest la finalisation de deux ans, 20 weekend, autant de vendredis soir, de samedis et de dimanches. Plus de 400 heures de cours, près de 40â000KM parcourus, de multiples traversées de mon pays. Des vols depuis Londres, Bâle, Zurich, Barcelone, Bordeaux ou Genève. Des trains depuis Villeneuve, Lausanne, Territet, Zurich ou Genève.
Une cinquantaine de nuits hors de chez moi àun moment où jâaurais donné un royaume pour mon lit.
Câest Bordeaux et ses vieux bâtiments majestueux que lâon ne pense plus àregarder de haut en bas et qui, pour beaucoup, puent la pisse du soir au matin. Câest la saleté et les crottes de chien sur les trottoirs.
Câest les grêves aériennes, les avions du vendredi matin enneigés, ceux du dimanche soir retardés, déviés ou annulés. Câest un TGV attrapé àla der avec changement de train et de gare àParis. Lâangoisse.
Câest mon père qui mâécrit ce weekend des mots que je ne lui connais pas. Et ma mère qui fait de même oralement le même jour. Quelle synchronicité parfaite pour des êtres qui ne se parlent pas.
Câest les pizzas, les glaces, les sushis, les pâtes maison, les poke bowls, les salades, les burgers, les crêpes, les croissants, les pains au chocolats, les bibimbaps, les canelés baillardrans, les fruits secs, les gâteaux, les yaourts, les crackers, les brunch, les dizaines de litres de thé chaud et froid , le café, les fruits, les lattes quâon a engouffrés dans les meilleurs et parfois les pires endroits de la ville.
Câest le avant versus le après: de sans domicile fixe pas très sûre de la pérennité objective de son plan squattant sur le canapé chez sa mère àun lieu de vie fixe et la constatation que oui le plan est stable: je peux écrire chaque jour si cela me chante.
Câest tous les Airbnb dans lesquels jâai dormi. Toutes nuits où je me suis sentie chez moi, et toutes celles où jâavais le mal du pays, dâune maison, de Lui.
Câest Monsieur Laurent dont la façon de repasser les draps et de faire les lits sâapproche des voûtes célestes et mâont rapprochée dâun chez moi.
Câest mon premier livre publié. Câest celui dâAmandiane, qui week-end après weekend dit quâelle nâa rien fait.
Câest la relativité du rien, ces impressions de rien qui nous collent àla peau et nous mettent les compteurs àlâenvers.
Câest une propension nouvelle àregarder au-delàde lâoeuvre et de lâartiste pour voir lâhumain, la fragilité, la démarche : McSolaar, Eric, Steinbeck, Agnès, Christine and the Queen, Jules, R. Bradbury, Lily B. Francis, F. Verdier, Anaël, Brigitte, Sylvie, Michelange et tous les autres.
Câest tous ces gens àBordeaux qui vivent dans la rue, en groupe, en couple, seuls/es, avec leurs chiens, dans un état de santé qui me semble parfois précaire.
Câest moi qui ne crois pas àla distribution de poisson mais àlâenseignement de la pêche. Sauf que pendant ces vingt mois je nâai ni donné de poisson ni enseigné àpersonne àpêcher.
Ce sont ces chiens qui semblent tour àtour craindre et adorer leur maître.
Câest toutes ces minutes, heures, jours, mois de doute. Que veut ce personnage? Et ce texte? En serai-je capable.
Câest Face nord et ses dragons dorés, son chat Virgile aux grands yeux, son chevalier noir, son sous-sol humide qui sous couvert dâêtre une consigne àbagage est une salle de torture, ses histoires dâamour qui nâen sont pas, son guide pratique déjànté que jâai hâte de lire, lâunion dâune fratrie, dans un roman et en vrai.
Câest ses 72 kilomètres de course dans la nuit, en hiver et en montagne. En plus du reste, juste parce que.
¨Câest le mental, juste une question de décider¨, elle me dit.
Câest notre zoo fou, mon croco qui bouffe une petite fille â euh non le contraire.Notre oiseau qui ne veut pas arrêter dâapprendre àvoler.
Ce sont les Rues de Bordeaux qui ont passé dâun labyrinthe intriqué menaçant de mâengloutir àun centre ville agréable et facile ànaviguer.
Câest un coach dâécriture qui a passé de barbu, intimidant et sévère àexigeant dans plus de douceur et toujours aussi barbu.
Câest la gratitude dâavoir pu accéder àmes rêves, de mâêtre fait dérouler un pont sur mesure sous les pieds.
Câest des rêves dâeau, dâocéan et des cauchemars de bureau.
Ce sont mes listes ¨àfaire¨ qui se sont fait la malle sans préavis.
Câest un massage corps coeur âme que je ne suis pas près dâoublier.
Câest six mois de physio pour avoir toujours mal àlâépaule.
Ce sont les heures passées devant un écran, sans témoins, sans feux dâartifice, sans fanfare, et avec si peu de résultats entre les mains. Parce que les voies de ce nouveau paradigme sont tout sauf linéraires.
Câest lâapprentissage de la patience et de lâimmobilisme, du laisser faire. Ã moi!
Câest une centaine de milliers de mots posés, analysés, déplacés, tracés, réécris, remplacés. Et ma difficulté àécrire deux cartes en ce dernier jour.
Câest mon inconscient qui mâinvite dans les méandres de ce quâelle veut que jâécrive. Si elle le veut. Quand elle le veut. Câest arrêter de me battre ou dâessayer de comprendre: elle aura toujours le dernier mot, câest établi.
Câest lâaccueil des cubes violets, des sosies, des clones, des histoires que jâécris et ne comprends pas, des séances dâécriture sans queue ni tête. Ce sont les larmes de confusion, de frustration, de désespoir et de rage ravalées. Et celles de gratitude. Parce que tant quâelle me parle, câest que je suis vivante.
Ce sont tous ces billets de blog qui sâinvitent chez moi alors que jâaimerais être en train dâécrire autre chose, mon roman par exemple. Et câest mon roman qui me boude.
Câest une soirée Très Happy Hour, des cocktails colorés trop sucrés ou trop alcoolisés, quâimporte. Les gonds de la bienséance qui sautent, un regard léger posé sur nos plaies, un beau moment.
Câest Amandine qui me demande le lien entre le titre de mon roman et lâanecdote que je leur partage àtable.
Ce sont les fous-rires édition 2018. Câest son rire qui résonne, àBordeaux et je lâespère àLyon.
Câest la gentillesse de certaines âmes croisées, la neutralité de certaines autres et lâamertume crasse des dernières.
Câest Lui, dâun support indéfectible. Ce sont ses visites, ses encouragements sans mots, ses glaces, son plaisir àme voir les talons. Câest sa foi sans données, sans preuves, sans raison, lui qui ne croit quâen ce qui est tangible est éprouvé.
Câest la découverte que oui il y a des choses que je ferais avec plaisir jusque àma mort, que je ne suis pas forcément si bizarre, peut-être jusquâici mal orientée.
Câest une victoire. Sur moi-même, sur le monde du travail, sur ma croyance de devoir y vivre et surtout y mourir. Un pied de nez àla norme, au safe, aux jugement sceptiques de ce dont on nâa pas lâhabitude.
Câest tous ces musées, monuments et boutiques que je nâaurai pas vus àBordeaux, tous ces vins que je nâaurai pas goûté.
Câest moi qui suis un auteur; câest moi qui ai rendu ma plus belle pièce de joaillerie. Enfin. Peut-être.
Câest lâescape room avec sept auteurs au top. Câest la prison confinée, surchauffée, sombre avec quelquâun que je ne connais pas, charmante au demeurant. Câest lâécran qui crachait des indices àla pelle et nous qui avons failli y rester.
Câest Brigitte qui me fait signe dâaller piquer des talkies walkies avec elle, comme deux gamines en mal dâaction. Quand on est àBordeaux avec Brigitte tout est permis. Y compris le délit de fuite.
Câest des adieux sous néons et sous perfusion. Mais moi je le sais, ce nâest quâun au revoir.
Câest Monsieur Laurent qui, venant de mâexpliquer quâil a un ¨coeur de pierre¨, mâattend àlâaccueil des urgences àma sortie, 5 heures plus tard.
Merci Bordeaux, merci Anaël, merci Monsieur Laurent, merci Le Cercle des Auteurs Apparus.
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Crédit dâimage: Guillaume Flandre, Unsplash