Je ne suis pas bloggeuse culinaire, et pour cause. Jâaime manger mais suis assez difficile, je nâai aucune patience ni dans la vie en général ni en particulier quand il sâagit dâattendre quâon me prépare et mâapporte àmanger.
Le fait est que quand un poème se présente àvous â fût-il déguisé en pizzeria â on se doit de lui rendre hommage en lui offrant une nébulisation de gratitude.
Il y a des jours où lâon nâattend plus rien, nâest-ce pas?
Des jours où tout est gris, où lâon est triste, déçue, fatigué et sans énergie.
Des jours comme ça où il vaut mieux procéder àun classement vertical de la journée en allant se coucher.
Nâayant rien dans le frigo, ce nâest pas une option pour moi ce soir. Me voici donc forcée de faire une incursion en territoire ennemi â dehors. Juste ce quâil me fallait!
Si lâexcellence est généralement ma préférence, ce soir câest une stratégie de survie. Je vise donc une pizzeria affichant un 4.9 sur Google (!) et un 5 sur TripAdvisor. Je nâaurai pas àajouter une nourriture peu gracieuse àla longue et pénible liste de mes griefs du jour (injustifiés pour la plupart, je traverse juste une installation de printemps difficile sans beaucoup de raison objectives àlâappui).
Après une marche rapide en direction de ladite pizzeria, je la localise et me mets àcouvert. Lâendroit est petit mais cosy, lâair réchauffé hume la bonne pâte et la tomate. Un chant sâélève: les pizzaioli communiquent en langue aérienne et marine, mes épaules retombent de deux centimètres, comme après une heure de yoga.
Le chef pizzaiolo mâaccueille avec un sourire mi-chaleureux mi-stressé. Jâignore le sourire et vais directement me noyer dans ses yeux bleu sombres et les roulement de ses ¨r¨. Oui je veux voir la carte, non je nâai pas réservé et câest bien dommage, je passerais bien la soirée àles écouter se parler et travailler sur leur art, leurs pizzas.
Le pizzaiolo en chef, entre deux fournées, me remet le menu et se détourne. Mes pieds menacent de retomber au sol et câest la carte des pizza qui me happe et mâentraîne àNaples, àCatane, àRome, quâimporte! Au sud. Au soleil.
Cette carte transpire le soin, la passion et lâart àchaque mot.
Je ne consulte pas un menu, je découvre un poème. Je crois nâavoir rien lu dâaussi palpitant ces derniers temps.
La carte est pourtant loin des menus pompeux et pseudo-poétiques que certains établissement sâévertuent àcréer, semblant se croire en droit de multiplier leurs prix par le nombre dâexpressions jamais-entendues et prétendument poétiques apposées sur leur carte.
Ici le menu est factuel et nâoffre rien â ou si peu â de jamais vu: sauce tomate, origan, mozzarella, roquette, jambon de Parme.
Mais lâhuile dâolive est produite et pressée par leurs soins en Sicile depuis quatre générations.
Les vins sélectionnés par une association àbut non lucratif, Slow Food.
Et rien qui nâapparaît dans chacune de leurs quatorze créations ne semble avoir été marié au hasard.
Leur poésie àeux nâest pas dans les mots.
Mon corps se détend sur la musique de leurs échanges on ne peut plus banals jâen suis sûre.
¨Mi fai tre Ortolane.¨
¨Due piatti ragazzi!¨
Finalement je commande. Puis recommence àlire la carte.
Le pizzaiolo chef prépare ma pizza, lâenfourne puis â pensant sûrement que je cherche plus dâinformations que ce que leur menu ne peut mâen apporter â mâexplique que la carte va changer dans quelques jours et que la pizza que jâai choisie sera faite pour la dernière fois ce soir. Parce que lâon est àla fin de la saison des épinards et que leurs pizzas sont préparées uniquement avec des produits de saison. Et ben oui forcément!
Je lui rends un sourire lumineux, jâai envie de lâembrasser, lui et les trois autres personnes qui sâaffairent autour du four.
Ma pizza sort de son dôme. Dans nâimporte quel autre contexte je dirais ¨Enfin!¨ ou même ¨Pas trop tôt!¨. Pas ce soir.
Je paie et laisse un pourboire qui semble étonner la personne qui encaisse: ils nâont rien fait puisque je nâai pas eu de service àtable.
¨Tu parles¨, me dis-je. Un massage corps/sens/âme pour le prix dâune pizza, je ferais ça tous les jours si je pouvais.
Je sors en serrant la boîte sur mon torse. Une preuve que le paradis existe. Jâemporte la pizza qui me réchauffe le coeur sur les quais. Elle et son filet dâhuile dâolive arrivé directement de Sicile, sa petite boule de ricotta blanche mordorée placée avec un soin infini exactement au centre de la pizza, ses condiments que je soupçonne dâavoir été cueillis et séchés par la nonna de celui qui mâa fait la pizza.
Lâexpérience de la pizza en elle-même est àla hauteur du spectacle qui lâa précédé. Qui eût cru quâune pizza me rendrait le sourire ce soir.
Grazie Italia, grazie Pizza Capperi Bordeaux, grazie a tutti. La vita è bella!
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Crédit dâimage: Depositphoto