Je ne me souviens pas de la dernière fois que jâai été aussi mal, que je me suis sentie aussi nulle, monstrueuse, conne, stupide, et je mâarrête làpar souci dâéconomie. Pour vous autant que pour moi.
Pourtant je nâai rien fait que nommer ce qui est déjàautour de moi. Que dâessayer de trouver une solution qui prenne en compte les paramètres existants ainsi que ma petite personne. Mais je commence àme dire que je ferais mieux de tenter de résoudre les divisions par zéro, ça irait plus vite.
En plus de la nausée, de mon sentiment dâêtre moins quâinadaptée et de me voir en jumelle de Wolverine, les serres aussi acérées mais en beaucoup moins sympa, je suis aussi fâchée.
Fâchée de me retrouver au milieu de ce gros binz que chacun des participant a construit avec assez de soin et dâingéniosité pour quâil soit àtout jamais inextricable. Moi je nâaime pas inextricable.
Je suis également fâchée que chacun lève les yeux au ciel, au comble du choc quand je ne fais que dâarticuler ce qui est, alors que les autres autour font mille fois pire. Avec le soin pourtant de ne jamais mettre de mots ou de qualifier leurs attitudes et comportements.
Jâai lâimpression de mâêtre pointée àEropolis et quâon mâaccueille avec un silence mortifère et des regards scandalisés parce que le god que jâai ramené est la chose énorme, tordue et épineuse que tout le monde sous entend et dessine â inconsciemment ou pas â depuis des années. Les gens se regardent entre eux et semblent dire: ¨Elle a osé, quel toupet!¨
What the fuck?!
Lâautre chose câest que je rame comme une débile depuis des années et puis juste ces jours je viens de me retourner et de me rendre compte que jâai ramé sur un banc de sable noir de jais tout du long et que je nâai pas avancé dâun iota. Et toute cette belle énergie pouf, disparu!
Moi tranquille depuis des années â enfin relativement â je pensais que finalement je progressais. Que jâavais trouvé le Graal, enfin une poussière de Graal, un hack, une sorte de façon de gérer pour que toute cette merde mâatteigne moins.
En plus de la tristesse et de la colère du jour je me prend une dose de vexation dans la gueule. ¨Mais tu tâes prise pour qui sérieux?!¨
Parfait pour un jeudi de juin.
En tant que quasi quarantenaire jâai appris deux trois choses sur moi, sur lesquelles je me replie: un bain, mon chien, une ballade avec elle, les arbres, la nature, des respirations.
Je commence par la promenade. Enfin commence, je ne sors que vers 15 heures parce quâavant ça je me traîne en pyjama dans mon lit àpondérer si la vie en vaut vraiment la peine.
Donc je sors, me promène, je regarde les arbre, la lumière, les couleurs, les feuilles et mon chien et je me dis que ça pourrait juste aller, et que ça pourrait être bien pire. Jusquâàce quâune connasse qui tient son canidé au col bien trop serré mâintime â en suisse allemand ce qui nâarrange rien â de ramasser mon chien. Comme si câétait un tas dâordure.
Si la dinde avait pu elle se serait rentrée elle, son berger allemand, leur peur de lâAutre et leur angoisse existentielle tous les quatre dans la barrière qui était àlâopposé de ma chienne qui elle les regardait paisiblement, immobile. Mais la peur et lâangoisse nâentraient pas dans la barrière. Trop volumineuses.
Et je tiens àpréciser quâàpart aux ordures quâelle chasse et dévore telle une déchaînée, notre chienne nâinspire la peur àpersonne. Pas même aux hérissons du quartier.
Je rentre de la promenade et rien ne va mieux. Je nâai pas pu empaler la vieille, câest interdit dans mon pays, et jâai toujours la nausée et pas faim.
Je me refais le film de tous ce que jâai tenté de régler, dâaplanir, dâarrondir pendant ces années. Ces décennies putain!
Mais toutes les stratégies que lâon échafaude dans sa tête et dans sa vie, câest certain personne ne les voit. Et si on a le malheur de les mentionner les gens tombent des nues: ¨Des efforts? Tu as fait des efforts? Mais quels efforts, moi je nâai rien vu.¨
Notre frustration grandit et on en vient àquestionner sa propre intelligence: suis-je conne, juste inadaptée, ou simplement je me suis méprise: je ne suis en fait pas humaine, juste une cruche sans tête et pleine dâeau.
Toujours pas calmée je me dis que je devrais faire une petite série de respirations. Mais ça aussi câest des conneries, parce que câest justement les jours et les moment où on aurait le plus besoin de pouvoir respirer librement que câest impossible. Et puis je ne suis pas un moine boudhiste moi. Dâailleurs depuis que je sais quâil existe des moines boudhistes extrémistes je me dis que je ne dois pas être de la pire espèce.
Jâai lu les mêmes livres que vous et cette phrase du Dalaï ne peut que me revenir comme un boomerang trop grand dans la tronche: la souffrance est dans notre esprit, en lâoccurence dans le mien.
Oui sûrement. On peut tous être dâaccord en théorie. En même temps que moi jâai toujours la gerbe, toujours pas faim, toujours du mal àrespirer et que je la vois juste devant mon nez cette saloperie de souffrance. Pas en dehors, pas dans mon esprit, dedans, dans mon corps!
Câest ma chienne qui va mâoffrir la leçon de vie du jour: elle part toujours du principe que lâanimal en face veut jouer, est de bonne foi et ne lui fera pas de mal. Câest dâailleurs ce qui lui a valu de se faire regarder de travers par lâautre mufflasse de forêt avec son berger allemand.
En même temps quand elle constate des signes dâinaptitudes au jeu et de lâagressivité, ma chienne recule.
Quand elle voit quelque chose quâelle veut vraiment, des ordure ou des déjections par exemple, ma chienne les fixe avec insistance, pleure parfois quand je la tiens fermement en laisse pour lâempêcher de sâen approcher. Et pendant une seconde je peux voir quelques points communs entre elle et moi, et entre ce sur quoi chacune de nous fixe son regard.
Finalement, quand elle voit que le premier tas dâordure nâest vraiment pas accessible parce que sa maîtresse ne sait pas ce qui est bon dans la vie, Nyima se concentre sur les autres options. Celles que peut-être je ne vois pas. Comme Sheryl Sandberg en fait: ¨When option A is not available, focus on option B*¨.
Je vais donc â ai-je vraiment bien compris et retenu le message cette fois-ci?! â me concentrer sur mon Option B, et la C et la D. Et ce jusquâàZ. Et pour dire, aucune de celles-ci nâest mauvaise, bien au contraire. Et au passage si elle me regarde, jâemmerde mon option A.
Quant aux yeux de merlans frits qui me regardent avec suspicion en me disant ¨Des efforts? Tu as fait des efforts? Mais quels efforts, moi je nâai rien vu.¨, préparez-vous, parce que si vous nâêtes pas capables de reconnaître un effort quand vous en croisez un, vous saurez les reconnaître quand ils se présentent àvous en négatif.
Ah oui, et aujourdâhui je nâai pas mal àlâépaule. Allez comprendre!
à bon entendeur!
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* Quand la première option nâest pas disponible, concentrez-vous sur la seconde.
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Depuis toujours chez nous on compte les framboises, et le reste. Tout doit être pesé balisé égal, sinon gare. Si bien que de lâoeuf ou de la poule je ne sais pas tropâ¦
Petit tu lui boxais le ventre.
Une fois née, tu me faisais des câlins àme dévisser la tête. ¨Câest mignon¨ disaient certains. Parce que mignon tu lâétais.
Un jour tu mâas suggéré de renverser le conteneur de poudre àlessive au milieu de lâentrée pour ¨faire plaisir aux parents¨.
Tant de souvenirs. Et pourtant je ne me rappelle pas des derniers voeux dâanniversaire que tu mâas faits, ou de voeux tout courts en fait.
Parfois je me dis que ça aurait pu être si différent. Cela aurait pu être tellement mieux, ou moins pire pour ces deux petits cÅurs perdus dans la tempête. Et puis probablement pas, puisquâil en a été autrement.
Je tâai blessé, sûrement. Ma meilleure défense contre tout a toujours été lâéloignement, et mâéloigner alors jâai dû. Et toi, écorché, àvif, tu aurais sûrement voulu autre chose. Je ne sais pas.
Comme notre mère nous a donné le souffle, tu as maintes fois coupé le mien. Comme elle nous a donné le souffle, un beau matin elle semble nous lâavoir repris. Tu as souffert. à en crever, ou tout juste pas. Et tu mâas accusée, récusée avec tant de force, tant de haine, tant de mots qui chacun mâest revenu comme une lame tranchante. Une lame qui sâest glissée dans les recoins les plus intimes de mon être, de mon coeur, de mon quotidien. Soigneusement, méthodiquement et cruellement tu as dévissé chacun des écrous branlants qui me tenait.
Me sont restées mes ailes que tu nâas pu couper: àcette époque jâétais àterre, plus bas que terre, terrassée par des tonnes de chagrins. Je ne comprenais pas ton acharnement. Jâai cherché, questionné mais chacune de mes questions mâest revenue en écho du néant.
Des années plus tard, dâune pensée tu as refait ma vie àta convenance: toi seul tâes retrouvé àla dérive et sans maison; toi seul as supplié des jours durant, des nuits durant pour que cela sâarrête; toi seul as attendu que quelquâun intervienne et crie ¨Coupez¨. Toi seul as espéré que quelquâun vienne te secourir. Mais personne nâest venu ni pour toi ni pour moi et toi tu mâas renié ma peine.
Jâai pensé : si je fais faux jâapprendrai àfaire juste. Si je le heurte jâapprendrai àlâadoucir, àmâadoucir.
Les mots tu les as tous usés sur mon dos, sur mon coeur, sur mon âme, sur mon cuir. Toujours ou presque en lobe. Les années, les décennies ont passé et jâai appris àles laisser sécher au vol, tes mots. Les autres ont cessé de me les rapporter. Tu as depuis aiguisé tes silences et ces derniers àeux seuls suffisent àmâeffondrer, àmâanéantir.
Jâai continué àchercher: ¨Fais mieux Virginie, fais autrement, cherche encore. Un jour tu trouveras. Un jour tu lui plairas. Un jour peut-être il tâaimera.¨
Mais non tu ne mâaimes pas. Et je nâai pas su lire dans tes yeux jusquâàaujourdâhui.
De fait jamais tu ne mâas demandé de faire autrement. Jamais tu ne mâas demandé de faire mieux. Je ne serai jamais assez parfaite ni jamais assez imparfaite àton goût. La seule chose que tu me demandes, et ce depuis toujours, câest de nâêtre pas, tout simplement. Ta constance en ce point est tout àton honneur.
Mais sauf àprendre ma vie je ne peux te combler, et par chance jâai droit àcette dernière quoi que tu en penses. Parce que je suis née, parce que je suis ici, parce que malgré tout je respire.
Dâun frère jâaurais rêvé autre chose et dieu sait que jâen ai rêvé. Et toi dâune soeur, cela va de soi.
Deux enfants sur une plage qui font des pâtés; deux enfants qui se cachent dans un morbier et le détruisent parce quâils se croient dans le remake du Loup et les sept chevreaux; des heures de Street Fighter Ã la Placette et de Zelda en 2D àla maison; des écoutes de disques et de chansons en boucle â toi qui voyais la profondeur, la subtilité, les nuances dans tous les textes, moi àqui tout cela échappait immanquablement; ta fierté qui pointait, rarement; des randonnées àpied ou àvélo; les champs de bosses que tu attaquais de front et que jâévitais soigneusement; ton bonnet dâhiver lutin àpompon bariolé qui volait dans les airs àchacun de tes sauts àski; un rituel de comparaison des cahiers de notes àchaque fin de semestre; la fois où toi et maman avez posé une trotinette â cadeau de mes rêves â au milieu de la nuit dans ma chambre; des leçons de piscine, une chanson composée àdeux dans la foulée dâun entraînement particulièrement pénible; des parties de Hâte-toi lentement endiablées chez nos grands-parents adorés, Grand-maman qui intimait àGrand-papa de perdre au travers de coups de pieds sous la table, Grand-papa qui criait que lâon nâavait quâàapprendre àperdre; les Trois pauvres rats au Tessin sous des seilles ; la piscine chez les Deller; les yoyo drinks immuablement framboise pour moi et choco pour toi; les photos sous lâobjectif de papa qui voulait toujours quâon sâembrasse, et toi qui détestais ça; ton ours en peluche àqui tu avais fait un slip, parce quâil ne pouvait quand-même pas se ballader nu; nos schtroumpfs; tes légos château fort; mes duplos; un tipi dans le jardin àSavigny; une solidarité dans la tempête qui nous aurait aidés, qui peut-être nous aurait sauvés. Et tant dâamour, de cadeaux et dâattentions qui pleuvaient comme un nuage vissé juste au-dessus de nos têtes àchacun. Ces images ne sont pas que des rêves, alors je vais les garder tout contre mon coeur encore un peu.
Moi je ne veux plus compter les framboises, et du sang frais sur mon sang coagulé ne fait pas bon ménage. Alors ce soir je vais tâexaucer. Juste pour toi je disparais. Je disparais de ta vie pour mieux entrer dans la mienne.
Prends soin de toi.
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àDiane de Man
Aimer et sentir que sa vie nâaurait aucun sens sans lâautre. Le penser. Et puis tout au fond soupçonner que ce nâest pas le cas.
Avoir raison.
Vouloir lâautre tout pour soi. Apprendre àle partager.
Prendre plaisir àvoir son oiseau du paradis sâenvoler, avec toujours au coeur une pointe dâinquiétude. Sâémerveiller àchaque fois quâil nous revient, àchaque fois quâil nous choisit.
Avoir honte de ses propres travers, longtemps travailler àles dissimuler àtout prix sinon il / elle disparaîtra. Ou nous, avalés par la honte ou noyés dans le Styx.
Découvrir ànotre plus grand étonnement quâun autre peut nous aimer non malgré mais avec ces travers. Pour autant que nous montrions lâexemple.
Vouloir tout donner àlâautre. Sâentendre dire quâil nâa besoin de rien. Sentir sauter les sutures dâune vieille plaie. Souffrir et vouloir disparaître.
Il nâa pas besoin de moi? Suis-je donc inutile, indigne, pas àla hauteur?
Penser àCyrano, ¨Câest bien plus beau lorsque câest inutile !¨.
Se mettre ànu. Entendre chacune de nos fibres protester, se raidir, nous hurler de reculer faute de mourir egorgé. Persister. Constater quâau lieu de crocs câest lâaile dâune colombe qui nous effleure.
Se montrer vulnérable et finir terrassé, en lambeaux. Longtemps penser ne jamais pouvoir se relever.
Un jour se remettre debout et continuer sa route.
Vouloir être tout pour lâautre, accepter que si lâon est déjàsoi, juste soi, câest déjàbeaucoup.
Sâengueuler, exploser, déborder. Lui en vouloir, sâen vouloir, avoir lâimpression dâavoir failli.
Et puis réaliser quâune relation est aussi cela: les engueulades, les manqués, les ratés, les pardonnés.
Vouloir lui faire plaisir. Y arriver. Ãchouer. Ne pas se formaliser.
Apprendre àarrondir certains de ses angles. Au bénéfice de lâautre, mais bel et bien pour soi.
Main dans la main, côte àcôte apprendre àdevenir une meilleure version de soi. Pas comme condition, dû ou nécessité mais comme une conséquence.
Envoyer ballader cela un instant parce que lâentièreté, la passion àen étouffer câest parfois tellement bon.
Oser dire ¨Jâai envie de toi¨, oser dire ¨Je nâai pas envie de toi¨.
Apprendre àse lâentendre dire.
Se sentir humilié, poignardé puis comprendre que si lâautre sait nous dire non, il sait aussi nous dire de vrais oui.
Boire une coupette de champagne pour célébrer cette découverte inattendue et réjouissante.
Comprendre juste assez dâhistoire et de géographie pour voir la différence entre un jumelage et une annexation.
Apprendre àdire et àentendre «tu mâas fait mal» et «pardon de te blesser mais je ne peux pas aller au-delà».
Sâattrister dâêtre imparfaits, incomplets, insuffisants. Constater que nous sommes tricotés ainsi.
Essayer, échouer, en baver, subir, se sentir floué.
Apprendre àsentir, àexprimer ce dont on a besoin, ce qui nous fait du bien.
En vouloir àlâautre de ne pas répondre àtoutes nos attentes, ànos désirs inexprimés et puis soupirer dâaise àla réalisation que câest pour le coup que le contraire est aussi vrai.
Aimer, se laisser aimer sans assurance, sans réassurance.Â
Lui faire un jus de fruits pressés.
Manger des sushis avec elle parce quâelle en raffole, et nous aussi.
Lui acheter une toupie.
Laisser notre coeur fleurir de tout le bien que cela leur fait, et ànous donc.
Entendre que câest aussi ces petits riens, ces petites attentions quâils aiment en nous.
En sourire parce que cela nous semble si banal.
Déborder dâamour avec lâimpression que son cÅur pourrait imploser.
Avoir envie de lancer lâautre contre un mur.
Accepter que cela peut être et lâun et lâautre.
Se déculpabiliser.
Travailler àse sentir digne. Se dire que la seule chose dont on ne sera jamais àla hauteur sont nos propres attentes de nous-même.
Renvoyer promptement et sans hésitation toute pensée, commentaire et quiconque nous chuchotterait, sous-entendrait ou nous ferait sentir quâon ne lâest effectivement pas, digne.
Imparfaits, toujours. Indignes, jamais.
Refuser la routine, lâennui, lâimpression dâacquis. Prendre pour armes les ¨bonjour¨, les ¨bonne nuit¨, les plats de sushi, les jus de fruits pressé, les toupies et tout autre artillerie blanche àdisposition. En abuser.
Sâennuyer ensemble. Rire. Apprendre àdire ¨Jâai besoin dâêtre seul/e¨.
Avoir du plaisir sans lâautre et lâaimer quand même.
Aimer lâautre et àavoir du plaisir sans lui/elle.
Se faire du bien. Avec et sans lâautre.
Voir dâautres passer, se demander comment serait une soirée, une nuit, une vie avec eux et laisser cela ànotre imaginaire.
Voir dâautres passer, se demander comment serait une soirée, une nuit, une vie avec eux et ne pas laisser cela ànotre imaginaire.
Explorer parce câest juste et bon pour nous.
Laisser les gricheux, les frustrés, les fâcheux et leurs commentaires outrés couler. Sâen amuser.
Qui suis-je pour attendre quâon me valide? Qui sont-ils pour savoir ce qui est bon pour moi?
Ãcouter ¨Sweet Escape¨ de Gwen Stefani.
Tomber, faillir, se relever àcôté dâune autre, regretter.
Se pardonner et travailler àcomprendre, àfaire mieux. Pour soi et dans son lien àlâautre.
Ãcouter ¨Rien nâest si bon¨ de Stephan Eicher.
Voir lâautre souffrir, désirer engloutir sa peine et anéantir ce qui le blesse. à défaut rester làles bras ballants.
Se sentir inutile sans jamais être àmême de percevoir la portée de notre simple présence. Accepter que cela, comme tant de chose, nous échappe.
Ne pas être assez. Ne pas se rendre compte àquel point on est assez, plus, pas assez, tout cela en même temps.
Faire un effort, une concession, un compromis, pas pour préparer de la munition àresservir plus tard sur un plateau gelé fatal, pas parce quâon se sent obligé mais parce que cela nous fait si plaisir de lui faire plaisir.
Parler de lâautre àdâautres une pointe de fierté dans la voix. Constater que personne ne peut comprendre, pas même nous peut-être.
Sentir que lâautre est là, dans notre équipe et quâon est dans la sienne. Et que du coup on est prêt àse lancer dans nâimporte quel sport, dans nâimporte quelle ligue.
Ãcouter ¨La petite monnaie¨ de Bénabar.
Ne pas prendre lâautre pour une bequille, un réceptacle de ses humeurs, la source de ses malheurs, la condition sine qua non de son bonheur.
Ne se considérer comme responsable dâaucunes de ces choses dans la vie de lâautre.
Apprendre àprendre soin de soi, de lâautre, de la relation.
Observer que ce nâest jamais aussi propre et simple en vrai que sur le papier.
Ecouter ¨Lovely day¨ de Billy Withers.
Faire bien faire, faire mal, faire mieux, faire de son mieux.
Se plaire, rire, sâexaspérer, danser, sâengueuler et avancer ensemble, main dans la main et pas àpas dans la bruine.
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Je pousse la porte de la vieille boutique. Le parquet craquèle sous mes pas et la porte grince comme je la referme. Je me présente devant le comptoir en bois et attends un instant. Un vieil homme émerge de lâarrière boutique dans un rythme lent. Du rythme des collectionneurs expérimentés qui savent que tant quâils gardent lâoeil ils nâont pas besoin de se presser car rien de bon ne leur échappera.
â Madame? Il me fait.
Je dépose la pièce sur son comptoir en verre et la désigne du menton.
â Câest pour un retour.
Dâun geste leste et inattendu il se retourne, prend un torchon quâil pose entre la pièce et le comptoir.
â Vous allez me le rayer! Il me regarde dâun air mi sévère.
â Excusez-moi.
â Vieux modèle, vous avez eu ça où?
â Je ne sais pas, on me lâa donné àma naissance.
Il hoche la tête dâun air pensif.
â Je nâen avais jamais vu de près. Ils ont arrêté la production presque tout de suite, le modèle a rapidement manifesté un défaut irrémissible.
â Je comprends, je lui dis.
Il disparaît dans lâarrière boutique et revient avec un monocle de bijoutier. Il se saisit de la pièce avec appréhension, dépose son monocle sur le comptoir et me désigne le pourtour. Pas besoin dâune vue grossissante, le défaut est plus quâapparent.
â Vous avez laissé la rancoeur sâinstaller, pas bon ça. Très corrosif la rancoeur, vous auriez dû faire attention, en prendre soin.
Jâacquièsce.
â Jâai bien essayé. Jâai appliqué toutes sortes dâhuiles, de baumes, dâonguents, chaque jour, pendant des décennies. Rien àfaire. Il semble que la corrosion vient de lâintérieur.
Le collectionneur revêt son binocle et marmonne quelque chose. En relevant le tête il me lance:
â Il y avait un joyau, làau centre. Où est-il passé?
â Il sâest dématérialisé, je lui réponds.
Il ne dit rien. Il se doute que câest venu du frottement constant de reproches et accusations. Il sait quâil nây a rien de pire pour un joyau.
Il continue son examination, retient son souflle un instant, dans lâexpectative puis expire dâun air déçu.
â La lueur, elle vient de sâéteindre.
Mon estomac se noue.
â Jâai tout fait pour garder la flamme, mais elle baissait. Lâautre jour elle a failli sâéteindre, câest pour ça que je suis venue. Lâautre problème⦠jâhésite puis continue: lâautre problème câest les aiguilles. Elles semblent incapables de se superposer ou de se tourner vers la même direction. Et quand elles se croisentâ¦
Il relève la tête et la secoue doucement.
â Je suis désolé ma pâtite dame, mais pour ce modèle vraiment, on nâa plus les pièces.
Ma gorge se serre.
â Je sais.
â Câest un beau spécimen mais avec toute cette obsolescence programmée, ça aurait dû être pris en main bien plus tôt, peut-être même bien avant que vous ne le receviez. Moi en tous cas je ne peux rien faire.
â Rien?
â Je pourrais peut-être récupérer le souffle.
â Le souffle?
â Oui, tant quâil y a un souffle on peut faire quelque chose, mais pas pour ce modèle, pour autre chose. Construction dâune amitié, création dâun couple, conception dâenfants, ou autre chose. Mais je vous lâai dit je ne peux pas vous dédommager. Et puis elle vous manquerait, elle a tous les attributs dâune pièce de collection.
â Je sais, je hoche la tête au rythme dâun métronome réglé sur des doubles croches. Je sais, câest juste queâ¦
Un bref silence sâinstalle.
â Elle me manque depuis bien longtemps, et ce nâest pas de continuer àla regarder qui va la réparer.
Le collectionneur hoche la tête dâun air bienveillant. Il tend les deux mains et prend la pièce avec soin. Je sais quâil va lâemmener dans son arrière boutique et finaliser ce que la pièce et ses composants ont initié: un démantelage terminal.
Je le remercie dâun sourire et tourne les talons, plus légère. Jâaurais dû venir il y a bien longtemps.
Câest ainsi que ce matin, jâai rendu ma famille.
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Elle va partir. Elle ne peut pas continuer àvivre. Lui non plus. Il ne le mérite pas, il ne la mérite pas, ils ne se méritent pas, ils ne le méritent pas. Laisser deux orphelins est hors de question.
Le scénario se déroule. Si facile, lâarme àdomicile.
Commencer par la plus petite, qui dort si profondément. Seul un souffle sépare cet état de lâautre. Un souffle, de lâair, rien.
Puis lâautre, le plus grand. Il se sera sûrement réveillé, peut-être quâil ne dormait pas. Lâhomme devra faire vite. On retrouvera le fils àterre, dans le couloir boisé. Un cri dâalarme àla bouche, les yeux ouverts, lucide. Il le fixait, lâaccusait de son regard sombre, il nâaura pas le temps de faire plus. Le père lâa fait taire.
Si les deux orphelins ne sont plus, lâhomme ne peut plus reculer, il doit terminer le propos même de son action, le centre de ce qui lâoccupe. Elle.
Les bruits lâont réveillée, alertée, elle est sortie dans le couloir en panique. Elle a juste vu tomber son fils, ne pense pas àla petite, qui dort. Elle hurle.
Lâhomme doit faire vite, il doit viser de loin, un tir distant depuis où le fils est tombé. Depuis làoù lâhomme a tout juste eu le temps de se retourner.
La maison est grande, il avait préalablement fermé toutes les fenêtres, il nây a pas de voisins. Mais il doit faire vite, parce que sâil pense tropâ¦
Il tire et elle tombe, la maison silencieuse prend une couleur rouge aniline. Aniline, C6H5NH2, nil. Au final, ce nâest que de la chimie, quâune couleur.
Cesser de penser, tenter de sâen convaincre, la vie nâest quâune question de chimie, quand la chimie sâen va il faut tout anihiler. Rien ne vaut quand les formules ne tiennent plus.
Il pensait que le métal sur sa tempe serait froid, il est brûlant. Ne pas penser. Ne pas écouter les cris silencieux, la maison, les murs qui suintent. Le rouge, la chimie, la chimie qui sâen va, eux quatre, partis.
Lâhomme, le père repose le revolver dans le coffre du galetas et ferme les yeux sur ce scénario quâil choisira dâexclure. Le revolver dort, pour toujours.
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Repas de famille.
Pas de famille. Plus de famille.
Weekend en famille.
Famine.
Une balançoire, la petite balance sous lâoeil couvant de sa mère. Pendant quâelle me parle et me découve, mâanihile. Pendant que la petite, doucement se balance.
La grande ne se balance plus. Plus de balançoire pour elle. Juste la poussée. Vers le vide, vers le rien, vers le pire.
Sa mère la couve, pas la mienne.
Les mots tombent comme des lames de rasoir. Une mère de lames, une mer de larmes, amère de larmes qui nâont pu couler. Douleur si perçante quâelle anihile et fait taire tout sur son passage. Les émotions, lâétonnement, la peur, la honte. Tout sauf la balançoire.
¨Il mâa violée¨
Je ne respire plus. Je garde la face. Je regarde àterre. Tout sauf elle, ou la balançoire. Que dire? Que faire? Famille? Famine. Balancer? Me balancer? Me jeter? Le vide.
¨Tu ne diras rien, hein?¨
Depuis si longtemps le mot dâordre.
Elle la couve du regard. Si petite. Si touchante. Si innocente. Elle se balance. Elle la balance. Elle balance.
Pas moi. Pas elle. Moi câest dans le vide quâelle me balance, quâelle me pousse. La mer morte, la mère morte, la mère mord, le terrain vague, la mère est vague, marée basse pour la petite, marée haute pour la grande. La noyée. Quâon ne rescapera pas, quâon a poussé. Quâon nâa de cesse de noyer.
Quand nous quittons le terrain vague, la balançoire encore se balance, dans le vide, comme sâil serait éternel.
Et la petite a tant aimé, cette session de balançoire.
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Ma famille est un drôle dâanimal. La complexité et lâintensité des relations et interactions entre ses membres me dépasse. Il y a une quinzaine dâannées une de mes petites cousines a fait un dessin pour ma grand-mère, comme cela se fait àlâoccasion de fêtes, dâanniversaires ou juste pour le plaisir. Ma grand-mère ayant près de dix petits enfants, elle ne garde pas tous les dessins. Ou pas toujours très longtemps. Celui-ci a cependant passé àla catégorie un peu plus intemporelle de ceux qui sont encadrés et pendus au mur. Peut-être était-ce dû au titre du dessin, gauchement écrit sur le bas de la feuille: Notre famille.
Le dessin dépeignait un groupe de personnages, tous grands, minces, habillés de couleurs gaies et souriants. Rien ne pouvait faire deviner les difficultés de communication et de relations entre les personnages. La famille était séparée en deux, chaque sous-groupe dâun côté de la page. Au milieu, seule, pas vraiment dans un des groupes mais pas complètement isolée non plus, se tenait une silhouette féminine, si lâon en jugeait par les habits.
Un jour où ma cousine et moi étions chez ma grand-mère ensemble, je lâai emmenée vers le dessin, toujours fièrement pendu au mur, et lui ai demandé qui était le personnage au milieu. ¨Ben toi¨. Ãa paraissait tellement trivial quâelle avait lâair de ne pas vraiment comprendre pourquoi je lui posait la question. Allez demander ànâimporte quel enfant ce que représentent les trois points et le trait sur son dessin et il vous répondra, toujours avec le plus grand sérieux mêlé dâincrédulité, que câest un dragon qui crache du feu sur des voitures, oh et le troisième point câest une ambulance, elle va probablement arriver trop tard.
Depuis ma grand-mère a vendu sa maison pour éviter les histoires, le dessin a donc perdu sa place de choix. Si câétait àredessiner, plus de quinze ans après, on ajouterait quelques figurines dans le groupe de gauche. On verrait quelques formes se déplacer de la gauche en direction du milieu. Un mur en béton armé aurait poussé entre les deux groupes. Les personnages ne souriraient plus, pas sâils doivent apparaître sur le même dessin. La fille du milieu, quant àelle, se serait envolée vers le ciel, comme un des personnages de Chagall. Pas parce quâelle a appris àvoler, mais parce que câest làquâelle aimerait parfois être, dans les étoiles, làoù les murs et les ressentiments nâont pas leur place.
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